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Eugène BOUDIN – Très belle lettre crépusculaire à son frère cadet, depuis Beaulieu-sur-Mer

Lettre autographe signée adressée à son frère cadet Louis – Hôtel Beau Rivage à Beaulieu s/mer, 5 mai 1898 – 4 pp. in-12, à l’encre violette.

 

« J’espère même sortir mes pinceaux un de ces jours. Le pays est beau, mais je ne peux aller bien loin avec mon bagage. »

 

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Eugène BOUDIN (1824 – 1898) – Peintre, précurseur de l’impressionnisme

Lettre autographe signée adressée à son frère cadet Louis – Hôtel Beau Rivage à Beaulieu s/mer, 5 mai 1898 – 4 pp. in-12, à l’encre violette.

Lettre bouleversante du peintre diminué par la maladie

« Mon cher Louis,
Selon ton désir, Juliette s’est empressée d’écrire à sa mère pour lui demander de te faire un flacon de son eau pour les yeux.
Je ne te garantis pas la guérison car je ne connais pas la nature de ton affection – c’est un organe bien délicat, l’œil ! – S’il n’y a pas de taie, nous avons affaire à une maladie nerveuse provenant soit de fatigue, de surmenage de l’œil qu’il faudrait mettre au repos absolu, mais je ne te garantis pas, que l’eau en question te guérira.

Il y a des exemples de guérisons appliqués à de braves gens du chemin de foi, à notre charbonnier de Paris, à des ouvriers du fer, cela les a guéris en peu de jours, mais ton cas n’est pas le même et ne provient pas de poussières irritantes comme le leur. Enfin, comme c’est sans danger dans l’emploi tu pourras bassiner ton œil avec l’eau et un linge en l’employant tiède. Il n’y a là aucun inconvénient qu’il en entre quelques gouttes dans l’œil. Juliette l’a fait adresser chez Désiré où tu pourras la faire prendre au premier jour. Si j’étais à Paris, j’aurais consulté le grand oculiste, Mr Abadie qui est un de mes plus assidus clients, mais j’ai de mon côté à suivre un traitement qui va me retenir ici au moins jusqu’à la fin du mois.

Je continue de me nourrir de lait, ça ne me fortifie guère et je me traîne comme je peux des jambes mais enfin je tiens debout…à la condition que je ne mette rien de solide dans mon estomac…je viens d’en avoir la preuve à déjeuner où une seule fraise me cause des douleurs intolérables. Voir manger et ne pas oser toucher à la nourriture, un petit supplice de Tantale !!!… Je ne me trouve pas plus mal quoique j’en sois arrivé à un état de maigreur extrême. J’espère même sortir mes pinceaux un de ces jours. Le pays est beau, mais je ne peux aller bien loin avec mon bagage.

Je recevais en même temps que ta lettre, le faire-part de la mort d’Amandine. Dans l’état où elle était c’est une bénédiction qu’elle ait fini et Désirée [la sœur ainée du peintre] l’aura compris aussi. Je vous envoie nos bons souhaits à tous. Il me semble qu’Onézime [son second frère] est bien troublé, qu’il ressemble au lièvre qui dit-on, perd la mémoire en courant. Fais nous écrire un mot par ton secrétaire Martin, si tu ne peux le faire toi-même et dis nous ce que tu auras éprouvé de l’emploi de cette eau.

Juliette se porte à merveille ici et mange hélas pour deux car je ne peux qu’assister à ses agapes journalières sans y prendre part. Nous n’avons pas une grande chaleur à Beaulieu. C’est une ville de formation toute récente. Il n’y a guère ici que des Hôtels, des villas superbes. Elle est située entre Villefranche, à deux kilomètres de Monté Carlo, à deux lieues environs. Portez-vous bien tous. Je vous embrasse. Votre frère.

Embrasse notre sœur pour nous et donne nous de ses nouvelles. Juliette lui fait, ainsi qu’à vous, ses amitiés »

 

Après la perte de sa femme, Marie-Anne Guédès, en 1889, le peintre vieillissant se rend régulièrement dans le Midi, où le climat lui permet de travailler en plein air. En 1891, il s’installe à Saint-Valery, dont il immortalisera la baie dans une soixantaine de tableaux, puis à Villefranche-sur-Mer en 1892.

En 1898, alors qu’un cancer de l’estomac l’a considérablement diminué, ne pouvant qu’à peine marcher et être alimenté, il est transporté à Beaulieu-sur-Mer et séjourne à l’Hôtel du Commerce puis à l’Hôtel Beau Rivage (du 5 avril au 20 mai), avec sa compagne Juliette Cabaud (Juliette sous la tente, Deauville, 1895). Le peintre repart ensuite à Paris, mais quelques semaines plus tard, alors qu’il se sent défaillir, il demande à mourir « face à la mer » et se fait transporter à Deauville, où il meurt le 8 août au matin dans la villa Breloque, au 8, rue Oliffe.

Une fente à la pliure verticale, voir photos.