Fernand LÉGER (1881 – 1955) – Peintre
Manuscrit autographe signé – S.n.d.l. [1946] – 2 pp. ½. in-folio quadrillés, quelques corrections d’une autre main au crayon.
Superbe manuscrit en forme de manifeste de la modernité
De retour de son exil aux États-Unis, Fernand Léger redéfinit le rôle de l’artiste dans un monde en mutation.
« On vit dans l’intensité non pas jour par jour mais heure par heure. Il faut saisir l’événement nouveau juste au moment où le projecteur est dessus. L’œil doit être rapide et de bonne qualité. Pas le temps de sourciller, de battre de la paupière ou alors trop tard. L’événement a passé, un autre lui succède. Il faut pourtant arriver à “faire son choix” dans tous ces nombres qui défilent à la radio, au cinéma, dans les revues, livres, vitrines […] “Le temps du choix”, ça c’est calé et difficile à placer, à réserver. – Un temps de ralenti tout de même nécessaire dans cette vitesse moderne. L’œil et l’oreille sont des appareils qui vont se mécaniser, s’entretenir. Les spécialistes ont compris que c’était sérieux. Avez-vous jamais regardé avec attention ces deux organes majeurs. C’est très compliqué et il paraît qu’il n’y a pas deux oreilles semblables ! Si vous êtes un bonhomme solidement établi […] fonctionnel, votre choix peut se faire instantanément. Ça c’est riche. C’est ceux-là les gagnants à cette sacrée loterie – foire d’empoigne. Empoigne vite ce que tu as besoin. Ne flotte pas, avale et digère solidement le morceau choisi, et file en vitesse créer quelque chose bien à toi, nouveau, qui peut-être épatera le monde. Cette histoire-là, c’est celle de la richesse incroyable de matière première qui nous entoure.
On doit puiser là-dedans, ramasser, prendre, saisir ce que notre vie moderne dégorge, lâche, gaspille tous les jours. Des éléments de beauté, d’émotion, de joie, sortes épars apparaissant et disparaissant. Avant notre temps actuel, un voyage, un livre, une lecture, une belle catastrophe, un coucher de soleil prenait un temps, une longueur, une largeur, une hauteur, ça avait un commencement et une fin, on s’en satisfaisait. Mais attention on n’en est plus là. On en est loin. Les objets ont soudainement apparu dans ces grands sujets sentimentaux et descriptifs. Les fragments d’objets […]
L’œil d’une mouche au fond du microscope apparaît monumentale, d’un fragment d’aile de papillon se dégage des formes géométriques insoupçonnées. Nouveau Réalisme.
La peinture année 1946…une grande année de départ. La poésie 46. Le cinéma, le théâtre 46. Point de départ…
Année très dangereuse mais magnifique.
1789-1946 Pourquoi pas ? Ça bouge du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, dans le très chaud et dans le très froid.
Nouveau monde, un petit magasin-bazar dans une petite ville de province américaine, vous entrez, 3 vendeuses gentilles vous accueillent, une chinoise, une négresse, une blanche.
Vous pigez maintenant l’année 1946 ? »
Ce texte a été publié dans une version affadie, comprenant de fortes variantes en trahissant l’esprit, dans le n°3 de la revue Variété sous le titre « L’œil du peintre » (copie jointe).
Bon état, voir photos.