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Jean MOULIN – Rare lettre adressée à sa sœur Laure (1942)

Lettre autographe signée Jean adressée à sa sœur Laure Moulin – Saint-Andiol, 2 mars [1942] – 2 pp. in-8, enveloppe avec adresse autographe et marques postales.

 

« Quant à moi, j’aimerais que tu puisses venir passer la journée du dimanche ici. Pour cela je t’envoie le bulletin de bagage de la bicyclette que tu pourras prendre en gare de Tarascon. Tu auras plusieurs jours de consigne à payer »

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Jean MOULIN (1899 – 1943) – Préfet et résistant, délégué clandestin du général de Gaulle

Lettre autographe signée Jean adressée à sa sœur Laure MoulinSaint-Andiol, 2 mars [1942] – 2 pp. in-8, enveloppe avec adresse autographe et marques postales.

Rare lettre du héros de l’Armée des ombres

« Chère Laure,

J’ai enfin réglé la question du fermier de la Lèque. C’est comme je l’ai indiqué, le fermier actuel du mas de St Sixt et celui qui m’était recommandé par le Secrétaire de Mairie. Je suis allé hier dimanche à Eygalières dans la matinée pour me mettre d’accord avec lui et l’après-midi, j’y suis retourné pour lui faire visiter la vigne.
Ici Jean Escoffier [Marie, la tante de Jean Moulin, sœur de sa mère Blanche, a eu trois filles : Jeanne, Yvonne et Marcelle. Jean Escoffier est l’époux d’Yvonne. Ils auront eux-mêmes deux filles : Andrée et Suzanne Escoffier] est tombé malade, grosse grippe avec point de pleurésie, fièvre et toux. Il sera obligé de garder le lit plusieurs jours.
Quant à moi, j’aimerais que tu puisses venir passer la journée du dimanche ici. Pour cela je t’envoie le bulletin de bagage de la bicyclette que tu pourras prendre en gare de Tarascon. Tu auras plusieurs jours de consigne à payer.
J’arriverai moi-même peu de temps après toi si tu arrives samedi après-midi, sans doute à l’autobus de quatre heures. Mais il faut compter sur le retard… J’espère que vous êtes toutes deux en bonne santé et je vous embrasse bien affectueusement. Jean

On a annoncé ici la mort de Madame Oscar de Nice. Peut-être avez-vous été avisées »

Laure Moulin (1892-1974), enseignante, fut elle-même résistante. Première secrétaire de Jean Moulin durant la guerre, elle sera également sa confidente. Elle assurait la conservation de ses manuscrits et documents sensibles, tout en le soutenant pour certaines missions et réalisant entre autres des tâches de déchiffrement.

Elle publiera le journal de son frère, Premier Combat et écrira sa biographie, Jean Moulin (Presses de la Cité, 1982), faisant figurer en préface le discours d’André Malraux.

Dans cette biographie, citons ce passage particulièrement chargé d’émotions :

C’est le samedi saint de cette année 1943 qu’il arriva furtivement à bicyclette. Je l’entendis ouvrir doucement la porte. J’allai vers lui. Il me fit signe de ne pas parler. Il alla droit à la cuisine embrasser sa vieille maman. Nous parlions à demi-voix pour ne pas alerter les voisins.(…) Le lendemain, dimanche de Pâques, alors que les cloches sonnaient à toute volée, Jean resta sagement couché et ne descendit que pour se mettre à table à midi. Immédiatement après, alors qu’il n’y avait encore personne dans les rues, nous partîmes à bicyclette pour Eygalières et notre bastide de la Lèque, au pied des Alpilles. Là, en pleine « gueuse parfumée », avec le thym et le romarin en fleurs, Jean respirait à l’aise et se détendait. Il sciait quelques branches de jeunes pins pour les aider à pousser plus droits, cueillait des touffes de thym et faisait de grands projets pour remettre en état et agrandir cette construction séculaire, à moitié creusée dans le roc. On n’entendait d’autres bruit que le chant des oiseaux et le bruissement des pins. C’est là que quinze mois plus tôt mon frère avait passé sa première nuit en France après son parachutage, là que nous avions caché papiers, armes, et argent. C’est dans un bois de pin que j’avais moi-même enfoui sous terre les trois carnets de son Journal des journées tragiques de juin 1940 à Chartres. Le soleil baissait à l’ouest derrière notre pic favori, qui se donne des allures de volcan. Il fallut s’arracher à cette paix, à cette harmonie de formes et de couleurs, pour regagner la plaine verdoyante et notre maison de Saint-Andiol. (…) Le [sur]lendemain, au petit jour, Jean reprend son vélo pour s’en aller sur Avignon. Je l’ai accompagné jusqu’à la porte. Auparavant il m’avait confié: « je fais quelque chose de très important et difficile en ce moment (note de Laure Moulin: le CNR). Si je réussis comme je l’espère, je passerai de l’autre côté de la Manche pour me faire oublier quelques temps. Je suis très visé, je dois redoubler de précautions. Ne m’écris pas, même si maman était malade, même, et il hésita un moment, si elle venait à mourir. On choisirait le moment de ses obsèques pour m’arrêter. Je t’enverrai de temps à autre un mot par un courrier, mais toi, ne m’envoie rien. » Je l’embrassai avec plus d’émotion que d’habitude. Je le suivis des yeux sur la route droite et déserte. Sa silhouette devint incertaine et s’effaça. Je rentrai le cœur gros. Je n’ai jamais revu mon frère.

 

Bon état, voir photos.