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Julien GRACQ – Sa vision critique du “Ring du centenaire”

Lettre autographe signée adressée à Ariel Denis – St Florent, 2 août [1985] – 2 pp. in-8.

 

« après dix ans cette mise en scène, regrettablement marquée par un continuel “signe descendant”, pour parler comme Breton, a perdu tout le ragoût (douteux) qui pouvait lui donner la volonté de provocation présidant à sa naissance »

Julien GRACQ (1910 – 2007) – Écrivain

Lettre autographe signée adressée à Ariel Denis – St Florent, 2 août [1985] – 2 pp. in-8.

Belle lettre évoquant les paysages du Tyrol et l’adaptation du Ring par Boulez et Chereau

«Je vous écris de St Florent où je suis venu passer 3 ou 4 jours (les locataires !) avant de retourner à Sion pour encore un mois. Laissons pendant ces mois de vacances les soucis d’emploi qui décidément ne vous lâchent pas et ne reviendront que trop vite à l’automne. J’espère que le beau temps vous a été fidèle dans le Tyrol, que j’ai traversé de bout en bout en 1931, allant à Vienne, dans l’Alberg-Express, succédané plus modeste de l’Orient-Express et qui n’a guère du lui survivre. Il faisait un soleil magnifique et tout était beau, les lacs, les neiges, les clochers, les culottes de peau et les chapeaux à touffe de blaireau des indigènes. De Feldkirch et Bludenz à Innsbrück et à Salzbourg par Zell and See, on avait envie de descendre à chaque station…Quant à Venise, vous ne risquez pas d’y être déçu, même si le crachin de l’Adriatique fait son apparition.
J’ai tenté de percer le mystère de vos circonlocutions (ténébreuses) à propos de la conférence de presse Guichard. Je n’ai aucune idée de ce que peut être la
revue 303 dont vous me parlez, tout comme je n’ai nul souvenir de lui avoir donné un texte (mais peut-être après tout que le quatrième âge où je suis entré véhicule avec lui des “absences” dont on ne se rend pas compte. Cela me surprendrait pourtant). Je ne vois pas du tout ce que je ferais dans une conférence de presse de ce genre, sinon de la figuration orientée : Olivier Guichard, que j’ai rencontré autrefois en compagnie de Jünger, est avant tout un homme politique et vous savez que je m’abstiens à peu près systématiquement de toute manifestation de ce genre, tout autant d’ailleurs que des exhibitions culturelles. Cela dit, je ne peux souhaiter que du bien à cette revue régionale, dont l’aire de diffusion prévue me touche de près.

J’ai vu à la télévision L’Or du Rhin, intéressant en effet grâce à la bonne direction d’acteurs (et au talent personnel des acteurs). Mais après La Walkyrie de lundi dernier, holà ! décors sinistres (sauf le rocher des Walkyries) tristesse mesquine des costumes – après dix ans cette mise en scène, regrettablement marquée par un continuel “signe descendant”, pour parler comme Breton, a perdu tout le ragoût (douteux) qui pouvait lui donner la volonté de provocation présidant à sa naissance, et n’est plus, m’a-t-il semblé, qu’une construction artificielle déjà terriblement datée. Le Parsifal de Syberberg malgré ses loufoqueries gardait un contact beaucoup plus étroit, avec la musique de Wagner. Je ne sais pas si j’aurai le courage d’aller jusqu’à Siegfried et au Crépuscule – malgré la bonne direction musicale de Boulez.
J’ai lu un peu de littérature allemande à Sion : Lichtenberg (Aphorismes) et un roman de Hesse :
Demian, curieux roman de formation, habité d’anges gardiens mi-pervers, mi-tutélaires. Il semble que le film sur La Presqu’ïle (dont je me demande quel public il va bien pouvoir attirer) va se tourner en septembre-octobre dans la région de Guérande-Savenay, avec Gérard Blain et une actrice allemande que je ne connais pas.

Je vous souhaite bien cordialement une fin d’été sans nuages. »

 

Julien Gracq évoque ici la Revue 303, revue trimestrielle consacrée à l’activité culturelle des Pays de la Loire, créée en 1984 par Jacques Cailleteau, sous l’impulsion d’Olivier Guichard, alors président du Conseil régional des Pays de la Loire. Cette revue est, à ce jour, toujours publiée.

La version de la tétralogie de Wagner, L’Anneau du Nibelung, est celle de Pierre Boulez et Patrice Chéreau, produite en 1976 à l’occasion du centenaire du Festival de Bayreuth. Elle est diffusée à la télévision à partir du 20 juillet 1985, à une cadence hebdomadaire.

Le film tiré de sa nouvelle La Presqu’ile s’est effectivement tourné, sous la direction de Georges Luneau, avec Gérard Blain et Barbara Rudnik ; il sortira en 1986.

Agrégé de Lettres à 23 ans, Ariel Denis (né en 1945) publie son premier roman en 1970. Il sera pensionnaire de la Villa Médicis et enseignera la culture générale à l’école des Beaux-Arts d’Angers. Il fut proche de Julien Gracq et le rencontra régulièrement. Son dernier roman, Soixantième figure dans la sélection Renaudot de 2007.

 

Bon état, voir photos.