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Louis-Ferdinand CÉLINE – Belle lettre de sa détention au Danemark (1946)

Lettre autographe signée adressée à son avocat, Me Thorval Mikkelsen pour la première partie et à son épouse, Lucette Almanzor-Destouches, pour la seconde – [prison de Vestre Fængsel, Copenhague], Samedi 10 août 1946 – 2 pp. in-folio (21 x 28,5 cm), sur papier rose à en-tête de la prison, au crayon.

 

« J’ai pensé à un autre titre à la place de “Au vent des maudits”, “Soupirs pour une autre fois” je ne suis pas encore décidé. »

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Louis-Ferdinand CÉLINE (1894 – 1961) – Écrivain

Lettre autographe signée adressée à son avocat, Me Thorval Mikkelsen pour la première partie et à son épouse, Lucette Almanzor-Destouches, pour la seconde – [prison de Vestre Fængsel, Copenhague], Samedi 10 août 1946 – 2 pp. in-folio (21 x 28,5 cm), sur papier rose à en-tête de la prison, au crayon.

Rare lettre de prison évoquant la genèse de Féerie pour une autre fois

« Mon cher Maître.

Le Dr Nelleman m’a fait comprendre très aimablement ce matin, après entrevue avec l’inspecteur, qu’il vaut mieux que je retourne en prison, mais en cellule individuelle. Bien entendu je n’ai élevé aucune objection et j’attends d’un moment à l’autre mon transfert. Sic transit gloria ! Enfin sans doute comme vous me l’avez fait espérer les choses vont prendre enfin bientôt un tour décisif ! On peut ainsi pendant 10 ans me transférer de l’hôpital en cellule et vice versa ! Je ne serai jamais ni plus coupable, ni moins aimable, ni moins malade, seulement hélas de plus en plus vieux ! Votre très fidèle et bien affectueusement. [signature]

Mon petit Mimi.

Au reçu de cette lettre, je serai déjà revenu en prison. Évidemment, je ne pouvais m’éterniser à l’Hôpital. Il faut bien faire de la place. Nelleman a d’ailleurs été très complaisant. Il est évident que l’on fait tout le possible ici pour alléger mon sort, mais le possible de prison ! Je vais quitter le jardin et l’arbre. Mais j’aurai une cellule seul. Tout est prévu. Je ne m’en plains pas. Je suis aussi bien traité qu’un condamné à mort, seulement ils ont droit à plus de visites. Il faut vivre tout cela en rigolant, on mourrait autrement. Ne m’apporte pas encore de livres, j’en suis encombré mais pense à la revue des deux mondes pour la prochaine fois. J’adule la revue des deux mondes. J’ai pensé à un autre titre à la place de “Au vent des maudits”, “Soupirs pour une autre fois” je ne suis pas encore décidé. Je ne resterai peut-être pas enfermé jusqu’à Noël. Enfin je n’en sais rien. L’espoir est un remède terrible. J’en ai trop usé. Je n’en veux plus absolument. Je préfère me ratatiner dans la peau de ma mère pour laquelle rien n’était assez aride, assez ingrat, assez injuste. Une chrétienne absolue et sans le savoir, je possède aussi la même faculté quand je veux, tous les sacrifices et les attachements me sont naturels et faciles. Je n’ai appris que sur le tard à me plaindre et revendiquer ; il le faut un peu bien-sûr sinon tout le monde vous piétine et vous exploite. C’est ton cas mon pauvre chéri. Mange bien surtout. Ne pas manger déprime horriblement, alors tu ne peux pas combattre et me défendre. Manger est un devoir. Ne te donne point de souci pour moi, je suis habitué. Le pire est fait. Et puis la roue tourne. Il faudra bien qu’ils se décident à [prendre ?] une décision à mon sujet. Ils ont aussi besoin de la place en prison pour les prisonniers danois. Je coûte de l’argent. J’encombre ; c’est mon seul espoir. Notre ami fait admirablement les choses. Mille baisers ma Lucette chérie . L »

Après son départ pour le Danemark en mars 1945, Céline est défendu par l’avocat danois Thorvald Mikkelsen (1885-1962), qui lui évitera l’extradition vers la France. Il est incarcéré sur ordre du ministère de la Justice français du 17 décembre 1945 au 24 juin 1947. Lucette Almanzor, qu’il avait épousée en 1943, est arrêtée à la même date et relâchée le 28 décembre 1945. Pour lui permettre d’échanger avec son épouse, Mikkelsen a accepté de rompre la règle déontologique du secret des échanges entre client et avocat. Pour cette raison, la plupart des lettres de prison de Céline débutent par un paragraphe adressé à son avocat et sont le moyen de garder contact avec Lucette, celle-ci devant se rendre au cabinet de Mikkelsen pour prendre connaissance des missives. Hors de ce circuit, seul un petit nombre de lettres ont pu être passées en fraude, le plus souvent rédigées sur des papiers de fortune.

Depuis le mois d’avril, Céline avait débuté l’écriture de Féerie pour une autre fois, il exprime encore ici son hésitation entre différents titres : Au vent des Maudits, Soupirs pour une autre fois ?

Dans son introduction aux Lettres de prison à Lucette Destouches et Me Mikkelsen, François Gibault précise en introduction que Céline, « détenu dans le quartier des condamnés à mort, à l’isolement, seul dans une cellule mal chauffée et dénuée de tout confort, souffrait de dépression, d’entérite, de pellagre, de céphalées insupportables, d’eczéma, de rhumatismes et d’interminables insomnies au point qu’il dut être hospitalisé à plusieurs reprises à l’infirmerie de la prison ou à l’hôpital puis chaque fois renvoyé en cellule. ». Il fera ainsi de nombreux allers et retours entre sa cellule et l’infirmerie ou les hôpitaux (Sundby Hospital ou Rigshospital, où il demeurera jusqu’au 24 juin 1947, date de sa libération sur parole).

Plis d’usage, voir photos.