Paul CLAUDEL (1868 – 1955) – Dramaturge, poète et diplomate
Manuscrit autographe signé de « La Route interrompue » – Chuzenji (Japon), juillet 1923 – 7 pp. sur 3 feuillets doubles in-4 (21 x 27 cm).
Beau manuscrit inspiré de son expérience en terrain inconnu
« Il y a longtemps que je suis parti ; et la Route commençait bien dans le décor officiel et régulier. Un rond – point avec la Statue de la République au milieu, et le Lycée à droite, et l’administration à gauche, et les rues à perte de vue, toutes s’enfonçant dans le Capital immobilier.
En avant ! Il y a une borne tous les cent mètres et les endroits sur la carte d’avance sont piqués avec une exactitude astronomique. C’est à peu près aussi facile de se perdre pour moi que pour un bœuf dans le couloir d’un abattoir mécanique. Pourtant je n’avais pas fait dix mille pas que déjà je ne savais plus où j’étais. Sans doute que j’ai dormi en marchant, il me semble que j’ai traversé vaguement une forêt… La Route était à elle-même si pareille qu’on ne la voyait plus. Maintenant il faut que je me débrouille tout seul, seul au travers de ce pays inconnu.
Inconnu ? pas autant que mes yeux voudraient me le faire croire, il y a quelque chose en moi qui sait que le paysage a un sens. Un invisible courant peu à peu me rend les repères et les distances. […] »
Le poème en prose « La Route interrompue » est d’abord publié dans la toute nouvelle Revue Européenne en octobre 1923, il est ensuite sélectionné pour clore le recueil Feuilles de Saints (1925, N.R.F.).
Du 3 au 13 juillet 1923, Paul Claudel rédige ce texte alors qu’il séjourne avec sa famille à la villa de l’ambassade de France à Chuzenji, il est alors ambassadeur de France au Japon (1921-1927).
« Si l’expérience japonaise a permis ou favorisé l’éclosion de formes brèves, dans certaines expériences comme celles des Cents phrases pour éventails ou des Dodoïtzu, Paul Claudel réserve à Feuilles de Saints la forme plus solennelle du verset et l’envergure du poème long qu’il explique et justifie dans une conférence de 1920. Cette forme n’est toutefois pas inédite au moment du séjour, elle a été préparée par les Cinq grandes odes de 1910 commencées en Chine et par les poèmes composant Corona Benignitatis Anni Dei de 1915. Paul Claudel compose ce poème à l’occasion d’un séjour à la villa de l’Ambassade de France à Chûzenji, dont il avait décrit l’environnement exceptionnel l’année précédente dans une lettre à Darius Milhaud c’est, dit-il : le plus beau paysage qu’on puisse imaginer, au bord d’un lac bleu entouré de montagnes et de forêts, et au pied d’un beau volcan dont les lignes sont à peu près celles du Fuji. J’y habite une adorable maison japonaise, on n’a qu’à tirer les panneaux de papier et l’on est entièrement mélangé à la forêt, au ciel, à la nature. » (Yvan Daniel – Bulletin de la société Paul Claudel – sept. 2012).
Bon état, voir photos.