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Romain ROLLAND – Sa dernière lettre à Louis Aragon (1944)

Lettre autographe signée adressée à Louis Aragon – Vézelay (Yonne), 12 décembre 1944 – 3 pp. in-8.

 

« Ce vieillard qui souffre des voies respiratoires, et qui était détenu à l’hôpital de Dijon, vient d’être envoyé dans le froid et la boue d’un camp de concentration des environs. »

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Romain ROLLAND (1866 – 30 décembre 1944) – Écrivain, Nobel de littérature (1915)

Lettre autographe signée adressée à Louis AragonVézelay (Yonne), 12 décembre 1944 – 3 pp. in-8.

Une des dernières lettres de Romain Rolland et ultime message à Aragon : il tente d’intervenir en faveur du père de son ami André Sabatier

« Voici quelques renseignements nouveaux, que je reçois, au sujet du père de mon pauvre ami Sabatier, le procureur général de Dijon, dont je vous ai parlé. Ce vieillard qui souffre des voies respiratoires, et qui était détenu à l’hôpital de Dijon, vient d’être envoyé dans le froid et la boue d’un camp de concentration des environs. Et ce transfert a lieu, au moment où l’instruction touche à sa fin, et alors que son avocat, à qui Sabatier fils avait demandé de lui donner sans ménagement son opinion, lui écrit ceci : « le dossier, tel qu’il se présente, ne me paraît pas autoriser le renvoi devant la cour de justice ».
Il n’est pas question de solliciter l’arrêt de l’action judiciaire. Sabatier père et fils désirent qu’elle soit menée jusqu’au bout. Mais ce qu’on souhaite, c’est le retour à l’hôpital, et même la liberté provisoire. Je n’ai pas les moyens d’apprécier les éléments de la cause. Mais jusqu’à ce que la justice ait prononcé, il y a lieu de garder envers l’inculpé des ménagements ; et la prolongation de cette détention dans un camp, à cette époque de l’année, risque d’être pour le procureur Sabatier une question vitale.
On m’ajoute que les communistes ont comme délégué au Comité de libération de Dijon, un certain Couhier
[Maxime Couhier (1887-1953), résistant et militant communiste, coopté comme membre du Comité de libération de la Côte d’Or], instituteur et c’est par lui qu’il serait peut-être possible de s’informer exactement et d’intervenir. J’ai pensé que vous pourriez faire emploi de ces renseignements supplémentaires pour obtenir un contrôle prompt de l’affaire. Excusez-moi d’y revenir !
Je vous serre affectueusement la main

[En post-scriptum] Quand vos Éditions Sociales pourront plus tranquillement dresser leurs plans, je pense qu’elles devraient envisager la publication des Œuvres complètes de Gorki. Elles sont disséminées dans l’édition française, et le public français ignore la plupart. En dehors de La Mère et de Dans les Bas-fonds, Gorki est connu chez nous beaucoup plutôt comme polémiste et propagandiste révolutionnaire que comme grand artiste (surtout, à mon sens, par ses récits, nouvelles et souvenirs – ces chefs-d’œuvre) [la publication des œuvres complètes de Maxime Gorki sera faite à partir de 1946, sous la direction de Jean Pérus, aux éditions des Éditeurs français réunis dirigées par Louis Aragon].

Pour éviter un va et vient inutile superflu de correspondance, entre vous et moi et Sabatier au sujet de l’affaire, ne serait-il pas plus simple que vous mettiez André Sabatier (79, rue du Faubourg St Jacques, V) en rapport direct avec l’ami qui s’en occupe ? Sabatier est un homme très discret. »

Après la libération de Dijon le 11 septembre 1944, La Bourgogne Républicaine publie une liste des personnels administratifs qui ont été arrêtés (30 novembre), liste dans laquelle figure Georges Sabatier (1877-1955), ex-procureur général suspendu de ses fonctions depuis le 13 septembre, puis bénéficiant d’un non-lieu en mars 1945. Ce dernier est le père d’André Sabatier (1903-1973), directeur littéraire chez Albin Michel, éditeur de Romain Rolland, et qui sera exécuteur testamentaire de ses œuvres.

Romain Rolland qui décède quelques jours après cette lettre, avait rencontré Aragon pour la dernière fois le 23 novembre à Paris. On sait qu’Aragon ne put toutefois pas satisfaire cette demande : dans une lettre du 12 janvier 1945 adressée à Madame Rolland, il explique qu’il n’avait pu agir et qu’on lui avait même déconseillé d’intervenir tant l’affaire était complexe.

Après la mort de Romain Rolland, Aragon et le Comité National des Écrivains lanceront une campagne pour sa panthéonisation. Il écrira ensuite une préface à un volume de pages choisies de l’écrivain et fera paraître dans Les lettres françaises certains de ses textes, ainsi qu’une importante série d’articles sur Jean-Christophe.

Petits accidents en marges hautes, voir photos.