Stéphane MALLARMÉ (1842 – 1898) – Poète et critique d’art
Lettre autographe signée adressée à l’éditeur belge Edmond Deman – Paris, 89, rue de Rome. Vendredi 4 décembre [1896] – 8 pp. in-16.
Longue lettre à son éditeur au sujet de l’ultime publication des Poésies
« L’écart est trop considérable entre votre point de vue et le mien, pour qu’il y ait lieu de nous entendre autrement que sur un point – vous m’avez, il y a très longtemps, acheté une édition, faites-la. On s’entend d’ordinaire entre auteur et éditeur sur le principe de l’édition même, j’ai cru à une édition de vrai luxe, ce qui, pour moi, se résume aux éléments que je vous indiquais l’autre jour, format vaste, caractères imposants et très beau papier. Si je n’avais pas désiré que ce monument, dû à votre art, précédât l’édition humble et quelconque qui seule propage une œuvre dans le public, j’aurais commencé par cette dernière, sans m’imposer le préjudice d’un délai exempt de sens et indéterminé. Les choses se passent différemment, il paraît que je me suis trompé, soit, agissez donc, à votre gré, tout de suite. Je ne pourrais que vous rendre les six cents francs jadis touchés et faire faire ici par quelque ami l’édition monumentale, pour employer votre mot : mais je devine bien que vous avez, outre les droits d’auteur, déboursé pas mal d’argent pour ces préparatifs, illustrations, décor, à mon insu et cela vous serait une trop grande perte que de ne pas les utiliser ; exigerait de retrouver dans les blancs et le grand format seuls, que vous ne voulez pas, le cachet d’exception.
Alors, poursuivez votre entreprise.
Je vous prie de me faire savoir, je n’ai pas notre traité sous la main, à combien vous tirez : surtout, quel sera le prix de l’exemplaire, que je n’admettrais pas, c’est là ma seule ingérence et sur quoi il faut votre accord, moindre que de huit à dix francs : vous avez une marge de deux francs.
L’impression, ceci réglé, peut donc commencer, avec votre copie en main ; qui représente les poèmes parus jusqu’à la mise en train du livre. Comptez, sinon sur mon approbation, du moins sur une amicale complaisance. Tout vaut mieux qu’un échange de correspondance inutile ou prévu ne devoir aboutir.
Je m’attends, relativement à la seconde édition fictive de Poe, à l’envoi de quelques exemplaires d’auteur et vous serre la main, mon cher Deman, simplement très déconcerté que nous différions tout à fait de point de vue.
Je suis de retour à Paris, prêt aux cartes-poste, épreuves etc. »
Edmond Deman (1857-1918) et Stéphane Mallarmé se rencontrent par l’entremise d’Émile Verhaeren et, à partir de 1888, l’éditeur bruxellois se chargera de l’édition des œuvres majeures du poète : Les poèmes d’Edgar Poe (1891), ses poèmes en prose sous le titre Pages (1891) et ce recueil, posthume, Poésie (1899). Le recueil projeté ici devait accueillir les poèmes anciens revisités par leur auteur, mais l’ouvrage restera inachevé, figé au stade de la maquette, après la disparition prématurée de Mallarmé en 1898. La cinquantaine de lettres que Mallarmé adressera à son éditeur à ce sujet témoigne du soin scrupuleux apporté à la préparation de l’ouvrage. Cette édition, la dernière établie par le poète, prenant un retard considérable ne sera éditée qu’après sa mort.
Références : Correspondance 1854-1898, édition établie, présentée et annotée par Bertrand Marchal. Gallimard, 2019, page 1529, lettre n° 2795.
Vestiges d’onglets aux plis verticaux, voir photos.