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[Alfred de VIGNY] – Rare correspondance relative à sa rupture avec Marie DORVAL

Correspondance de 10 lettres autour de la rupture entre Marie Dorval et Alfred de Vigny – S.l., 19 juillet / 25 septembre 1838 – 40 pp. in-8, feuillets montés sur onglet.

 

« Adieu, j’ai été pour vous deux une amie dévouée – Dieu sait combien j’aurais voulu vous voir heureux l’un pour l’autre, mais c’est impossible ! »

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[Alfred de VIGNY] (1797 – 1863) – Poète

Marie DORVAL (1798-1849) – Comédienne

Pauline DUCHAMBGE (1776-1858) – Chanteuse et parolière

Correspondance de 10 lettres autour de la rupture entre Marie Dorval et Alfred de Vigny – S.l., 19 juillet / 25 septembre 1838 – 40 pp. in-8, feuillets montés sur onglet.

Précieux témoignage de la rupture tumultueuse des deux amants

1 l.a.s. de Marie Dorval à Alfred de Vigny – [Paris], jeudi soir 19 [juillet 1838] – 6 pp. in-8 : « Alfred, en me laissant emporter la pensée que j’étais cause de l’altération sérieuse de votre santé, vous m’avez déchiré le cœur. S’il fallait donner la mienne aujourd’hui pour vous épargner une souffrance grave, je le ferais à l’instant. Pourquoi avez-vous été si cruel de m’empêcher d’embrasser votre main, moi que vous ne voulez plus revoir ! Je vous le dis Mr Sandeau n’est qu’un prétexte, mille fois je le prierai de ne plus revenir chez moi. Tout m’est indifférent excepté vous Alfred quoi que vous en pensiez. Ce qui est vrai, c’est que depuis longtemps vous vouliez me quitter, seulement vous avez attendu que vous en ayez eu la force aujourd’hui cette force s’appuie sur je ne sais quoi, peut-être une femme qui vous aime et que vous allez aimer ! Vous amassez contre moi des colères incroyables, je deviens un monstre à vos yeux et je suis si écrasée que je n’ai plus le courage de me défendre. Vous ne m’aimez plus. […] Je ne sais que vous dire sinon que je ferai de ma vie ce que vous voudrez. Si cette prophétie que vous m’avez faite il y a bien longtemps, dans les premiers jours de nos amours pouvait s’accomplir j’en serais bien heureuse, je vous le jure. Mais tout en vivant quelque chose se meurt en moi c’est mon âme que vous abandonnez. Je serai inquiète je vous le jure de votre santé bien tourmentée ! Ne refusez pas au moins de me donner de vos nouvelles à ma dame de chambre quand elle vous en demandera. Si vous étiez malade sérieusement je saurais bien me rendre malade aussi et ne guérir que quand vous guérirez. Je ne sais plus que vous dire, Alfred, je suis écrasée. Je pleure en vous écrivant et disant Adieu. Est-ce donc Adieu, est-ce donc à jamais. Marie »

2 l.a.s. de Marie Dorval à Pauline Duchambge – [Paris], 21 juillet et 24 août 1838 – 4 pp. in-8 chacune : « Chère Pauline, avez-vous des nouvelles de Monsieur de Vigny – sa santé m’inquiète au dernier point – est-il venu hier ? Si nous nous séparons comme je crois qu’il est inévitable de le faire, et comme une fatalité bien singulière que ce soit pour la plus innocente chose de ma vie ! mais je crois bien que tout repos, toute confiance est à jamais perdue…ce serait un nouveau couteau dans les mains de Monsieur de Vigny avec lequel il me torturerait pendant des années !! […] Cela prouve que cet homme a une maîtresse qu’il aime et non pas moi. Mais tout cela me fatigue, me fait mal. Je vois une explication qui ne ferait rien pour l’avenir. Je crois fermement qu’Alfred sera plus heureux séparé de moi une fois les premiers moments passés. Pour moi je ne sais plus ce que je dois désirer. Je me sens malheureuse et je m’abandonne à tout ce qui pourra m’arriver. »

« Depuis le 15 août, jour de Marie, depuis ce jour pourtant j’ai eu tant de chagrin, que je n’ai pas eu la force de venir vous voir, et puis nous vous avons tant importunée ! Enfin, tout est fini ; Je me suis non pas séparée de Monsieur de Vigny mais arrachée, c’est fini […] »

3 l.a.s. et 3 l.a. de Pauline Duchambge à Alfred de Vigny – [Paris], 31 août-25 septembre 1838 – 22 pp. in-8 : messagère et confidente, elle ouvre également les yeux d’Alfred de Vigny sur la nature de sa relation avec Marie Dorval.

« Pour vous seul. Ce 31 août 1838. Mr et bien cher ami, il faut enfin qu’une dernière fois, je m’explique avec vous – je pense que je torture votre pauvre âme et cependant il le faut ! J’ai toujours eu l’horreur de la dénonciation surtout, lorsque l’on peut briser le cœur d’un ami en lui apprenant, vu ce que l’on sait, ou ce que l’on a deviné – placée entre deux personnes qui vous sont chères, entre un amour profond, loyal et un amour sans cœur qui existerait un jour, qui, le lendemain était distrait, puis, dont la vérité revenait…qu’avais-je à faire ? vous dire, prenez garde…vous auriez frémi de douleur ! – lui dire à elle aussi, prenez garde, elle ne m’écoutait pas, et se cachait de moi…je me taisais, mais j’ai beaucoup souffert […] J’aurais gardé avec vous un éternel silence, ayant encore une sorte d’amitié pour elle, qui me disait en moi-même que je n’avais pas le droit de la trahir, d’autant plus que les secrets de sa conduite, je les devinais plutôt que je ne les savais et qu’alors ce qu’elle me cachait me semblait ne devoir pas durer ; troubler votre vie, la sienne par des délations de cette nature des fautes qui n’avaient que 15 jours d’existence, dont elles ne se rappelaient même pas…j’aimais mieux la fuir et ne pas vous voir. […] Elle n’est pas digne de votre amour- je n’ai pas besoin d’entrer dans plus de détails […] »

« […] Quelle fatale liaison pour vous ! Que n’ai-je pu vous arracher de chez elle la première fois que je vous ai rencontré ! Mais j’étais comme vous, sous le charme de cet être incompréhensible qui court en aveugle à sa perte ! le croirez-vous, je vous avoue que malgré moi, malgré tout le mal qu’elle vous fit, j’éprouve une pitié profonde pour elle, pour son avenir ? Ah ! je souffre aussi moi, je souffre avec vous, je déplore cette rupture inévitable ! […] »

« Par fierté vous ne me demandez pas ce qu’elle m’a dit – moi, je viens vous le dire hélas, je puis vous jurer qu’elle est d’une tristesse profonde ! sans exagération je vous transcris ici quelques unes de ses paroles, dîtes avec l’accent le plus vrai.
‘‘au milieu de tous mes égarements, je n’ai aimé que lui – et aujourd’hui même, je l’aime plus qu’il ne m’aime. Sa jalousie a tué mon amour, elle m’exaspérait et dans ma colère je suivais une route dont j’étais lassée au bout de 8 jours… tout me manque aujourd’hui…nous réunir, c’est impossible, continuer cette liaison était impossible mais je pleure mon amour – je n’ai rien à mettre à la place. Je n’aime pas S.
[andeau] – je tâcherai de l’aimer …mais je sens que je n’y réussirai pas. Je ne lui parle que d’Alfred, c’est toujours lui à qui je pense et je vais partir – j’ai envie de ne plus revenir’’ […] Elle me disait aussi : ‘‘ je suis toujours sous l’influence de la nouveauté, mais pour huit jours seulement, mais au fond ce que j’aime sérieusement, c’est pour toujours, et j’aimerai Alfred ainsi le reste de ma vie. Ah ! s’il ne m’avait pas tant méritée, s’il n’avait pas tant exigé que je renonce à voir tel ou tel je n’aurais jamais été si loin dans mes fautes, je me suis cabrée comme un cheval rétif…il n’a pas su me prendre…’’
Je n’ajoute rien, si ce n’est que j’en ai une pitié profonde et que tant qu’elle viendra à moi, je lui ouvrirai mes bras et pourtant je vous aime. »

« La lettre que je vous ai fait lire hier n’avait pas été écrite pour que vous preniez connaissance – ceci est un fait certain. Elle contenait les expressions vraies du désordre intime de ses pensées – car elle pleure, vous regrette et pourtant ne veut ni vous revoir ni faire ce que vous exigez […] ‘‘Dîtes lui que ma plus chère occupation est de relire ses lettres, que je l’aime absent, mais que ses scènes de jalousie me mettent hors de moi et m’ont rendues d’autant plus malheureuse qu’elles m’ont poussée à des imprudences coupables, il comprendra ce que je veux dire. Je porterai la croix qu’il m’a donnée toute ma vie – ne le trompant plus l’ayant rendu à lui même je me sens digne de porter mes pas vers la tombe de sa mère. J’irai, je ne l’avais pas osé jusqu’ici.’’
Voilà mon cher et bon ami, le résultat de ma triste conversation, Marie est un composé de bien et de mal inexplicable. Je jure devant Dieu que je suis convaincue de son affection pour vous, mais cette affection n’est pas l’amour que vous lui donnez !
[…] »

« Marie est venue chez moi. Sa première parole a été de me demander si vous consentiez à lui dire Adieu – je lui ai répondu Non – je lui ai posé toutes vos questions, elle a dit qu’elles étaient aussi dures que votre refus. Elle a dit qu’elle voyait bien qu’il n’y avait plus en vous d’amour pour elle que Mr S[andeau] ne faisait pas question. […] Cette pauvre Marie est si agitée, si tourmentée qu’il faut la laisser, moi je suis résolue à rester, sans la voir jusqu’à son départ afin de lui laisser la force d’accomplir tous les ennuis de sa position. Je vous assure que le plus malheureux de vous deux, ce n’est pas vous. […] Avec un caractère comme le sien, il n’y a pas moyen de lui faire entendre raison. J’y renonce.
Adieu, j’ai été pour vous deux une amie dévouée – Dieu sait combien j’aurais voulu vous voir heureux l’un pour l’autre, mais c’est impossible ! »

« Elle m’a fait promettre de vous écrire- j’ai promis- je ne veux pas la tromper.
‘‘ Je ne demande pas dit-elle un rapprochement impossible – je ne demande même pas un pardon que je ne mérite pas – je l’ai trompé, tout le monde le sait – je ne plus espérer un raccommodement impossible…mais je vais partir…qui sait…je puis mourir en route, dans l’absence…je demande à genoux de le voir une fois avant mon départ. Je sais qu’il m’accablera de reproches mérités, je le sais, et je m’y soumets, le revoir une fois me donnera le courage de supporter l’isolement de cœur dans lequel je vais vivre désormais, car je l’ai perdu, et je l’aime – mon imagination m’égarait mais le cœur était à lui. S’il refuse de me voir, il me rendra doublement malheureuse. Je laisse à sa générosité de me répondre et à sa bonté d’accepter.’’
Je vous transcris les paroles. Partez vite si vous refusez, ce serait prolonger son espérance mais avant de refuser… pensez qu’un coupable repentant est digne de pitié… je lis mieux dans son âme que vous-même parce que la nature de mon sentiment pour elle me permet plus de sang froid. Et croyez-moi si j’avais du pouvoir sur vous, je vous dirais : ‘‘soyez généreux et bon’’, c’est un effort à obtenir de vous-même mais, cher ami, vous avez l’âme si noble que vous devez être accessible à tout ce qui est générosité, effort de vertu et c’en est une que de n’être pas implacable ! Quoiqu’il en soit si je vous revois avant votre départ que ce ne soit pas le soir, il m’en a trop coûté hier de la renvoyer…Aussi étais-je chez elle ce matin dès 10 heures. »

1 l.a.s. de Victorine, [femme de chambre de Marie Dorval ?] à Pauline Duchambge – Avignon, 12 mars 1837 – 3 pp. ¼ in-8 : pour informer Alfred de Vigny que Marie Dorval est souffrante.

« Je vous écris pour vous informer que Madame Dorval est tombée sérieusement malade. Monsieur Merle en recevra l’avis en même temps que vous, elle me charge de vous dire Madame, qu’elle est bien affligée de ce que vous restez si longtemps sans lui écrire, elle compte cependant assez sur votre amitié pour espérer que vous voudrez bien prévenir doucement Monsieur de V., elle n’est-pas en état de lui écrire et elle aurait craint que mon écriture lui fit mal. Dîtes lui qu’elle a reçu une lettre de lui dont elle le remercie bien profondément. Nous espérons bien que la maladie n’aura pas de suite mais elle a été tout d’un coup effroyablement malade. Nous avons été toute une journée vraiment alarmées. La maladie est inflammatoire et le résultat d’une extrême fatigue, enfin, il va bien falloir qu’elle se soigne et il est presque certain qu’elle ne pourra pas jouer à Avignon [Marie Dorval est en tournée en Avignon du 2 au 22 mars 1837]. Voilà donc tous ses autres engagements manqués. Tous les directeurs la tourmentent. Vous savez si elle est nerveuse et si cela peut ajouter à son mal. Une chose qui me fait trembler c’est que Mme ne veuille rejouer avant d’être tout a fait rétablie. Dîtes à Monsieur de V. que nous avons le plus grand soin d’elle et que le médecin n’a pas jugé qu’il fût urgent que Monsieur Merle vînt en Avignon.
Adieu, Madame, j’aurai soin d’écrire soit à vous soit à M de V. puisque maintenant il est prévenu. Veuillez agréer s’il vous plaît l’assurance de mon profond respect. »

La relation entre Marie Dorval et Alfred de Vigny débutée en 1829 dura 6 années. Pauline Duchambge, amie de Marie Dorval mais aussi de Marceline Desbordes-Valmore, fut la confidente des deux amants pendant leur liaison.

Le soir du 17 juin 1838, Alfred de Vigny s’était rendu chez sa maîtresse, où il avait croisé le critique Gustave Planche et Jules Sandeau. D’un tempérament jaloux, il la suivit le lendemain et la vit entrer au 100, rue du Bac, dont il découvrit, avec l’aide de Vidocq, qu’il s’agissait bien de l’adresse de Jules Sandeau… Le 7 juillet, Vigny lui demande alors de rompre avec Sandeau et Marie lui répond quelques jours plus tard : « nous revoir c’est nous torturer tous deux. Comment après ce que je vous ai dit comment vous revoir ? J’ai la conscience du mal que j’ai fait, je sais ce que vous devez souffrir ». Notre correspondance débute au lendemain de ces incidents qui vont précipiter la rupture des deux amants.

Dans l’agenda d’Alfred de Vigny, au 17 août 1838 figure le mot « RUP-TURE » et dans un courrier à Pauline Duchambge, le poète déclare que « Tout est fini ». La tourmente passée, le 6 octobre 1838, il lui écrira de nouveau pour lui confirmer : « tout est fini, cette année m’a été fatale, Madame. Ce que j’ai souffert n’a pas été au-dessus de mon courage. »

Bon état général, déchirure au cachet sur une lettre, voir photos.