Charles GOUNOD (1818-1893) – Compositeur
Lettre autographe signée adressée à Ivan Tourguenieff – S.l., [février-mars 1851] – 2 pp. in-8.
Belle et longue lettre, parlant de son opéra Sapho de Pauline Viardot et des œuvres de Meyerbeer
« Mon bon cher Tourguenieff.
Il y a longtemps que je veux vous adresser quelques lignes de souvenir, et je n’en trouve pas de meilleure occasion que la bonne et joyeuse nouvelle de vos deux derniers succès dramatiques. C’est avec bien grand plaisir que je vous sais arrivé maintenant : les souhaits dont vous avez tant de fois accompagné, l’an dernier, l’élaboration de mon premier travail à moi, ne peuvent à mes yeux être mieux récompensés que par votre propre réussite ; et puisqu’elle est grande Dieu soit loué et vous aussi. Que ne nous est-il donné, tout en jouissant de l’effet, de pouvoir apprécier la cause ? … l’effet, de pouvoir apprécier la Cause ?… Mais le Russe est de l’Hébreu pour nous, et fût-il traduit je crois que la nationalité seule des caractères eux-mêmes constituerait encore pour nous en beaucoup de passages une langue étrangère. Je ne puis faire de meilleurs vœux pour votre action littéraire que de la voir s’étendre […].
Notre chère et excellente amie [la cantatrice Pauline Viardot] , toujours meilleure est assez fortement éprouvée cet hiver par une toux d’irritation que je voudrais pourtant vouer à tous les diables : heureusement encore les combinaisons administratives de notre théâtre lui ont-elles forcément laissé un peu de repos ces derniers temps, par l’impossibilité où l’on se trouve de jouer le Prophète faute d’une Berthe : Les Huguenots seuls, peu fatigants comme chant et assez rarement représentés sont venus relayer l’Enfant Prodigue et les Ballets : je crois que d’ici à huit ou dix jours, Mme Poinsot [la soprano Anne Poinsot (1825-1906) qui chantera le rôle de Glycère pour la création de Sapho la même année] qui étudie en ce moment le rôle de Berthe permettra au Prophète de se remettre à flot. Je force notre amie de soigner bien sérieusement cette toux qui deviendra d’autant plus fatigante qu’on la laissera régner plus longtemps : demain soir encore elle fera les principaux frais d’une soirée musicale pour une œuvre de bienfaisance où Dieu veuille que sa charité ne l’épuise pas. Sapho je répète toujours tout doucement je ne sais encore quand nous serons prêts. La petite Pauline [la fille de Tourgueniev, Pélagie Pauline âgée de 9 ans] va très bien : je l’ai vue et embrassée hier chez sa maman. Cette petite ne sait presque plus un mot de sa langue natale, elle entend tout en français. Elle m’a montré hier le petit daguerréotype d’après vous en me disant « aimes-tu mon petit papa ? » Louis a souffert énormément ces jours-ci d’un lumbago qui grâce au ciel et à une pommade à l’éther et au chlore est maintenant complètement passé. Moi ne vais pas mal quoiqu’un peu fatigué d’une irritation des bronches qui commence à se dissiper. »
En 1849, Giacomo Meyerbeer avait offert à Pauline Viardot l’occasion de s’imposer dans le rôle de Fidès dans son opéra Le Prophète. Charles Gounod compose alors à son intention Sapho et son air célèbre « Ö ma lyre immortelle ».
Ivan Tourgueniev (1818-1883), Pauline Garcia-Viardot et son mari Louis furent des amis très proches pendant plusieurs dizaines d’années.
Bon état, voir photos.