Claude BERNARD – Sur son “Introduction à l’étude de la médecine expérimentale”
Lettre autographe signée à l’éditeur Jean-Baptiste Baillière – Saint-Julien, ce 8 octobre 1863 – 4 pp. in-8.
« je ne signerai jamais que je reconnais à quiconque le droit de contrôler mes articles et d’ordonner le bon à tirer »
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Claude BERNARD (1813 – 1878) – Médecin et épistémologue
Lettre autographe signée à l’éditeur Jean-Baptiste Baillière – Saint-Julien, ce 8 octobre 1863 – 4 pp. in-8.
Importante lettre relative à la publication de son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale et à son refus catégorique de se soumettre à un comité de rédaction
« Je m’empresse de répondre à votre dernière lettre du 6 courant de telle façon qu’il ne puisse vous rester aucun doute sur le fond de ma pensée.
D’abord je vous répèterai que la vraie raison est celle que je vous ai donnée. Je n’ai pas le temps de collaborer à aucun ouvrage étranger, j’en ai bien assez des miens propres. Mais en supposant que j’aie le temps, je vous déclare franchement que je ne signerai pas votre traité tel qu’il est. Je vous prie de mettre tout ce qui va suivre à l’impersonnel, je n’entends appliquer ce que je dis à personne, je veux simplement vous exprimer mon sentiment avec la franchise que se doivent des hommes qui s’estiment ; il vous restera bien entendu ainsi qu’à d’autres le droit de me blâmer. Je vous ai dit dans ma lettre précédente que vous aviez conçu votre œuvre de manière à la mener à bonne fin. En effet, tout peut être régi par l’autorité suprême d’un directeur, vous éviterez les longueurs les retards qui sont avec raison le désespoir des libraires. Mais ce que je n’accepterai jamais pour ma part c’est un directeur ; je ne signerai jamais que je reconnais à quiconque le droit de contrôler mes articles et d’ordonner le bon à tirer. Dernièrement, je disais à Monsieur Henri Baillière qui me demandait quelque chose que vis-à-vis de mes confrères de l’Académie des Sciences, j’étais tenu à garder mon caractère de physiologiste. Ceux qui m’ont nommé m’ont donné leur voix parce qu’ils ont cru que je pouvais être un juge en physiologie et la preuve c’est que je juge tous les ans des ouvrages de ce genre. Dès lors, je n’ai plus le droit ni le désir de me mettre à la remorque de personne. Vous me direz sans doute que j’exagère et que je sais bien qu’on ne toucherait pas à mes articles et que j’en serais le maître absolu. Je le sais bien en effet et c’est justement pour cela que je ne voudrais pas signer un traité dans lequel le contraire est écrit, ce qui ne manquerait pas de m’être reproché tôt ou tard. Le hasard a voulu que vous rappeliez dans votre lettre une soi-disant collaboration au dictionnaire des dictionnaires. Ce fait qui était sorti de ma mémoire parce que je n’ai jamais collaboré est loin, de nature à me rendre circonspect. Votre oncle sait très bien que si la chose en eût valu la peine j’aurais exigé que mon nom fut retiré. […]
En résumé j’ai fait et je ferai avec vous des livres tant que je pourrai ; mais je ne veux pas que vous me donniez un directeur […] et quel qu’il soit. Sur ce point nous ne nous entendrons jamais. C’est la seule chose que je vous refuserai toujours. Restons-en donc là sur ce point, faîtes votre œuvre sans moi ; elle n’en sera pas moins bien car malgré toutes les choses obligeantes que vous m’avez dîtes je n’ai pas la vanité de me croire si important. Je serai à Paris à la fin du mois et aussitôt je me lance exclusivement dans la physiologie opératoire. En attendant veuillez agréer mes civilités amicales. »
L’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, œuvre maîtresse de Claude Bernard, sera publiée chez Baillère en 1865. Ses réflexions novatrices essaimeront au-delà du monde médical ; Émile Zola, dans son manifeste sur le naturalisme, s’en réclamera et vantera les mérites de la méthode dans Le Roman expérimental.
Infime déchirure en marge du second feuillet, voir photos.