Erik SATIE – Belle lettre humoristique relatant l’observation de l’éclipse de 1905
Lettre autographe signée adressée à « Monsieur le Médecin », son ami le Docteur Louis Le Monnier – Arcueil, 1er septembre 1905 – 4 pp. in-8.
« Depuis la première heure du jour, le Soleil était en l’air, à sa place habituelle. Il semblait qu’il ignorât ce qui allait lui venir. »
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Erik SATIE (1866 – 1925) – Compositeur et pianiste
Lettre autographe signée adressée à « Monsieur le Médecin », son ami le Docteur Louis Le Monnier – Arcueil, 1er septembre 1905 – 4 pp. in-8.
Satie, témoin inspiré d’une éclipse solaire
« Comment allez-vous ? Et votre Dame ? Avez-vous bien vu l’éclipse ? C’était assez curieux ; mais une fois suffit. Il y a des personnes que cela excite. D’autres, il est vrai, restent profondément calmes ; ce qui est la preuve que le même spectacle frappe différemment ceux qui se sont conviés à s’en réjouir. On dit, que quelques uns n’auraient même pas vu ce phénomène aérien et céleste. Des blasés, sans nul doute. De ces gens qui n’ont que mépris pour tout ce qui ne les intéresse suffisamment, sans excepté [sic] les plus grandes fêtes de la nature.
Pour moi, qui ne pouvais être fatigué d’un divertissement qui n’a de manifestation que tous les trois cents ans, je me tenais attentif de l’ouïe et de la vue ; surtout de la vue, pour ce que ce sens est mieux disposé pour la dégustation d’une éclipse qu’aucun des autres. Aussi me tins-je au premier rang, attendant l’arrivée. Depuis la première heure du jour, le Soleil était en l’air, à sa place habituelle. Il semblait qu’il ignorât ce qui allait lui venir. Autour de moi le silence ; silence interrompu par la forte voix de madame Geng.
– « Mais, monsieur Sadi, je ne vois rien. Vous voyez quelque chose, vous ? »
Elle avait raison, la brave Dame. Il est utile de dire qu’elle était en avance de plusieurs heures. Impatience touchante et excusable. Enfin, mon ami, le tour astronomique s’accomplit avec sureté, avec méthode. Alors puissamment, Madame Geng : – « C’est tout ça ?…. Vous direz ce que vous voudrez, monsieur Sadi, mais si c’est pour ça que les journaux ont fait toutes leurs histoires !….. »
Que faites vous de bon ? Et votre clientèle ? Moi, mon vieux, je suis mécontent de mon année. Tout a raté. C’est bien agréable ! Je suis en train de préparer ma rentrée. Qu’est-ce que cela donnera ? Je me le demande avec obstination. Êtes-vous toujours dans la même disposition au sujet de l’avance que vous m’avez proposée si amicalement ? Mon pauvre vieux, vous voyez devant vous un bougre qui n’est pas très heureux. Que voulez-vous ! Et Fernand ? A-t-il vu l’éclipse ? Comment va sa Dame et les petits mouchetrions ?*
Vous n’en avez pas encore un, vous, de mouchetrion ? Il n’y a personne à Paris. Bellon est en Suisse avec une autre femme que la sienne. C’est Mademoiselle Devillers qui se dévoue à ce remplacement. Madame Bellon ne l’aime pas. Elle lui reproche de lui retirer l’amour de son mari et surtout l’argent que celui-ci met de temps en temps dedans le portefeuille qu’elle lui a donné pour sa fête. La maison d’Édition est entre les mains de monsieur Ponscarne. Je n’y suis pas bien vu. Votre vieux.
*Mouchetrion est un mot de l’industrie de Madame Geng. Elle l’emploie fréquemment. Il a bon air. »
En l’année 1905, où « tout a raté », les astres ne sont en effet pas très favorables au compositeur : Satie devait concevoir une musique de scène pour une pièce de Jean Kolb et Maurice de Féraudy, Pousse l’Amour, à la suite d’une dispute lors d’une répétition, la pièce sera finalement jouée sans musique !
En octobre 1905, Erik Satie s’inscrit en classe de contrepoint à la Schola Cantorum de Vincent d’Indy, où il aura Albert Roussel et Auguste Sérieyx pour professeurs. Il était las, disait-il, de « se voir reprocher une ignorance qu’il croyait avoir, puisque les personnes compétentes la signalaient dans ses œuvres. » Claude Debussy tenta pourtant de l’en dissuader : « Prenez garde, vous jouez un jeu dangereux. À votre âge, on ne change plus de peau. » Satie sera un élève appliqué et studieux, pendant cette période, il composera deux pièces pour piano, Prélude en tapisserie et Passacaille.
Madame Geng et son mari sont propriétaires d’un café-restaurant à Arcueil, au coin de la rue Benoît-Malon. Pendant 10 ans, Satie est un habitué des lieux, où il est au fil du temps, plus traité en ami qu’en client. Lassé de cette faveur et possiblement vexé, il cesse brutalement de s’y rendre pour prendre ses habitudes dans un autre café, situé en face de l’église.
Références : Erik Satie – Correspondance presque complète, réunie et présentée par Ornella Volta, CXV, page 118.
Légères rousseurs, voir photos.