Franz LISZT – Superbe lettre au cardinal de Hohenlohe (1882)
Lettre autographe signée adressée au cardinal Gustav de Hohenlohe – Kalocsa, Vendredi saint [7 avril], [18]82 – 6 pp. in-8 (14,5 x 22,8 cm), enveloppe cachetée conservée, adressée en recommandé à « Sua Eminenza il Cardinale Principe di Hohenlohe. Santa Maria maggiore. Roma. »
« Daignez me pardonner ce retard de plume, fort en contraste avec le zèle de ma vive gratitude pour vos constantes bontés. Elle me reste un devoir de prédilection et aussi une consolation intime : y manquer me serait impossible.»
Vendu
Franz LISZT (1811 – 1886) – Compositeur et pianiste
Lettre autographe signée adressée au cardinal Gustav de Hohenlohe – Kalocsa, Vendredi saint [7 avril], [18]82 – 6 pp. in-8 (14,5 x 22,8 cm), enveloppe cachetée conservée, adressée en recommandé à « Sua Eminenza il Cardinale Principe di Hohenlohe. Santa Maria maggiore. Roma. »
Belle et longue lettre à son guide en religion
« Quantité de menues obligations locales, et de plus un travail musical pressé, m’ont empêché de remercier plus tôt Votre Eminence, de sa très gracieuse lettre. Daignez me pardonner ce retard de plume, fort en contraste avec le zèle de ma vive gratitude pour vos constantes bontés. Elle me reste un devoir de prédilection et aussi une consolation intime : y manquer me serait impossible.
Dimanche passé, le Cardinal Haynald [Franz Liszt sera l’hôte du cardinal Lajos Haynald (1816-1891) pendant toute la semaine sainte jusqu’au lundi de Pâques] me dit : “Vous êtes très fatigué, demain je rentre à Kalocsa ; venez y passer la semaine sainte et Pâques, en repos, chez moi”. J’acceptais et suis arrivé ici mercredi. Pour les offices on m’annonce bienveillament une stalle du chœur. Ainsi mon titre de chanoine honoraire d’Albano que je dois uniquement à la grâce de Votre Eminence, se trouve honoré en Hongrie. Au palais archiépiscopal il y avait hier une cérémonie touchante (à l’église). Après le lavement des pieds des 12 pauvres, figurant les apôtres – plus Judas, treizième – vêtus d’une espèce de surtout hongrois, d’usage en toute saison et de grosse étoffe presque blanche, ils étaient réunis pour un repas dans une grande chambre du rez-de-chaussée. Les douze assis, Judas debout, un peu à distance. Il n’en fut pas moins servi comme les autres par le Cardinal, des prélats et ecclésiastiques, une demi douzaine de houzards et votre très humble serviteur. Le point caractéristique de ce repas est qu’aucun des convives ne touche à quelconque des douze plats qu’on leur sert. Cruches de vin et victuailles sont de suite remises intactes aux membres de la famille des hôtes qui les consomment ensemble, sans gêne à domicile. Finalement le Cardinal adressa un discours édifiant aux 12 pauvres, en leur recommandant de ne pas imiter Judas, “Mercator pessimus“, et leur fit cadeau d’une trentaine de florins. Le vêtement et les bottes sont également de munificence archiépiscopale.
Selon l’ancienne coutume des Archevêchés de Kalocsa, un grand dîner maigre a lieu jeudi saint. Plus de cinquante personnes étaient invitées hier à la table très princière du cardinal. Un prélat de haute distinction prit plaisir à nous régaler d’un parallèle assez bizarre. Supposé que vous ne le connaissiez déjà je le rapporte : “Bismark procède comme les chefs de ménagerie : il entre dans la cage des bêtes féroces, le fouet en main, frappe d’estoc et de taille lion, tigres, ours, hyènes jusqu’à ce que toute cette engeance se couche timidement devant lui.”
Les choses musicales dont j’ai à m’occuper à Budapest avancent assez lentement mais sans discontinuité. En automne, un orgue convenable, du prix de 5000 florins, sera placé dans la salle qui touche à mon appartement à l’Académie Royale de Musique. Prochainement , une classe pour l’enseignement du chant d’église s’établira. La diriger de façon à obtenir de bons résultats est de mon devoir. L’intelligent évêque de Szatmar, Monseigneur Schlauch, témoigne un véritable intérêt au progrès sérieux de la musique d’église en Hongrie.
J’ose prier Votre Eminence de rappeler au bienveillant souvenir du baron de Keudell [Robert de Keudell (1824-1903), homme politique allemand, ami de Bismarck et ambassadeur à Rome, il est aussi un pianiste talentueux] et de M. de Schlözer [Kurd von Schlözer (1822-1894), ambassadeur de Prusse au Vatican et ami de Liszt] votre très humble, reconnaissant et fidèle serviteur.
Mardi, je retourne à Budapest ; ensuite je m’arrêterai deux jours à Vienne, et serai à Weimar la semaine de Quasimodo. Si le vin rosminien du comte Ruggiero Alberti n’a pas déplu à Votre Eminence, peut-être aura-t-elle l’affabilité de lui en écrire deux mots à Venise. »
Le prince, puis cardinal, Gustave-Adolphe de Hohenlohe-Schillingsfürst (1823-1896) est nommé évêque d’Albano par Léon XIII en 1879 ; il sera également archiprêtre de la basilique Santa Maria Maggiore de 1878 jusqu’à sa mort. C’est de ses mains que Franz Liszt reçut la tonsure lorsqu’il est entré dans les ordres en 1865.
Le cardinal joua par ailleurs un rôle inattendu mais déterminant dans la vie amoureuse de Franz Liszt. Son frère, Konstantin zu Hohenlohe-Waldenburg-Schillingsfürst, avait épousé Marie, née Sayn-Wittgenstein (1837-1897) qui était la fille que Carolyne de Sayn-Wittgenstein (princesse russo-polonaise, née Iwanowska, 1819-1887), avait eue de son mariage avec le prince Nikolaus zu Sayn-Wittgenstein. Elle rencontre Franz Liszt lors d’une tournée à Kiev et deviendra sa compagne de 1847 à 1861, prenant la succession de Marie d’Agoult auprès de Liszt. Marie vécut avec Liszt et sa mère, à Weimar, de 1848 jusqu’à son mariage avec le frère du cardinal en 1859. Pour régulariser leur situation, Carolyne se rend à Rome afin de faire annuler son mariage, ce qu’elle obtient après deux audiences pontificales. La cérémonie est prévue pour le 22 octobre 1861, jour des cinquante ans de Liszt, mais est brusquement annulée, la veille, sur intervention de Pie IX qui mandate un curé soucieux de revoir le dossier… Cette union – qui n’avait pas la faveur du cardinal Gustav de Hohenlohe – ne sera finalement pas célébrée. Le pape refusant de prononcer le divorce de son ex-future épouse, Franz Liszt concrétise son projet d’entrer dans les ordres (1865) ; cette vocation déjà ancienne reçoit l’appui du cardinal, ce qui clôt définitivement la question du mariage de Liszt avec la belle-mère de son frère.
Petits accidents marginaux, voir photos.