Jean COCTEAU (1889 – 1963) – Poète et cinéaste
Lettre autographe signée adressée au comédien et metteur en scène Jean Négroni – S.l., 29 novembre 1959 – 2 pp. ¼ sur deux feuillets in-folio.
Très belle lettre, déplorant la disparition récente de Boris Vian et de Gérard Philipe
« Je vous suis reconnaissant de comprendre combien me touche le moindre signe de Boris Vian et quel vide il laisse sur ce navire dont l’équipage, depuis peu, devient fantôme, les plus jeunes, les plus vifs, les plus dignes de vivre, tombant à la mer. Votre merveilleuse brochure (“sur papier réellement moche” et qui ressemble à ce catalogue de St-Etienne [le catalogue Manufrance] qui fascinait ma jeunesse) m’arrive en même temps que l’ignoble nouvelle de la mort de Gérard Philipe.
Quel est cet ogre, ce sphinx, ce minotaure qui exigent le sacrifice de nos amis ? Je me le demande et je n’y vois qu’un désordre sinistre dans la rosace du destin.
J’avais aimé, loué, exalté, la première pièce de Boris. J’avais assisté à son succès qui devait céder sa place à la mauvaise grâce d’un public comprenant brusquement qu’il applaudissait ses propres ridicules.
Et voilà Les Bâtisseurs d’Empire où je retrouve cette souveraine indifférence aux règles, cette joie enfantine d’y désobéir.
Boris possédait la science infuse du rythme et du drôle qui ne se fonde jamais sur l’anecdote. Avec l’œuvre que vous mettez en scène pour l’annexe du T.N.P. Boris nous donne des dialogues pareils aux thèmes qui composent l’organisme d’un jazz. »
P.S au dos : « Pardon de répondre si mal et d’écrire par hiéroglyphes. Mais ce film m’accable de besognes diverses [Cocteau est en train de tourner Le Testament d’Orphée]. Votre fidèle. »
Boris Vian était décédé le 23 juin, suivi de Gérard Philipe, quelques mois plus tard, le 25 novembre, peu de jours avant cette lettre.
Jean Negroni (1920-2005) se consacre alors à la mise en scène de la dernière pièce de Boris Vian, Les Bâtisseurs d’Empire ou le Schmürz, qui sera représentée le 22 décembre suivant au théâtre Récamier, seconde salle du TNP.
Cette lettre sera largement reprise dans le journal du TNP de Jean Vilar, Bref (n°32), dans un article consacré à Boris Vian. Jean Cocteau avait été – avec René Barjavel – un défenseur de la première heure de Boris Vian, notamment au moment de la sortie de sa pièce L’Équarrissage pour tous, attaquée par la critique, qu’il défendit dans un article resté célèbre (Salut à Boris Vian, Opéra, 3 mai 1950).
Petits accidents marginaux, voir photos.