Julien GRACQ – Sur ses lectures et Sunsiaré de Larcône (2000)

Julien GRACQ (1910 – 2007) – Écrivain

Lettre autographe signée adressée à Ariel Denis, à Venise – St Florent, 17 août [2000] – 2 p. in-12 (15 x 10,5 cm), enveloppe conservée.

Sur ses lectures américaines et Sunsiaré de Larcône

« Votre carte reçue ce matin me fait penser que, comme d’habitude, je suis en retard pour vous adresser ce petit mot à la pension Calcina – finalement haut lieu de Venise (si on peut parler de lieu haut à Venise) puisque vous vous y retrouvez en compagnie de Sollers et Ruskin.
Ici, l’été fut médiocre, c’est à peine si j’ai fait un saut jusqu’à Sion, et les lectures ont été plutôt américaines à savoir le livre de Henry James sur Hawthorne, puis la réédition qu’a donnée la bibliothèque nationale du Cap Cod, gros ouvrage, peu connu en France, et finalement un peu ennuyeux, de Thoreau. Il est curieux qu’une bourgade aussi insignifiante que Concord ait renfermé à l’époque trois écrivains aussi notables qu’Emerson, Hawthorne et Thoreau. Relu aussi, mais c’est plus ancien et peut-être en avons-nous déjà parlé à St Florent, la biographie de Poe par Georges Walter – qui rectifie beaucoup d’idées fausses sur ce qu’était la vie littéraire américaine au temps de Poe – presque une sous-littérature… : les éditeurs le boycottaient au bénéfice des auteurs anglais, que la législation américaine permettait aux éditeurs de publier en Amérique sans payer de droits. J’ai relu aussi avec profit, les Impostures intellectuelles de Sokal et Bricmont, source de réjouissances toujours nouvelle, mais qui ouvre aussi des aperçus sur l’état actuel des mathématiques et de la physique, dont les littératures multiplient une ignorance coupable…(mais par où aborder un continent qui ne leur offre aucun accès ?).
Lucien d’Azay est passé me voir au début de l’été ; il habite Venise depuis plusieurs années et semble la bien connaître. Je suis curieux du petit livre, qu’il doit publier sur Sunsiaré de Larcône, qui s’est tuée en voiture en même temps que Nimier et que j’ai autrefois un peu connue : elle avait gardé quelque chose du romantisme explosif de Bettina Brentano.
À bientôt, j’espère, à l’automne. Je suis heureux que Venise se montre pour vous si favorable au travail, et j’en espère beaucoup. Bien amicalement. »

Modèle pour Boussac et Balenciaga, mais aussi auteur de La Messagère, Sunsiaré de Larcône – de son vrai nom Suzy Durupt (1935-1962) – était une fervente admiratrice de Julien Gracq ; elle est surtout connue pour sa présence au côté de Roger Nimier lors de l’accident de voiture qui leur fut fatal. En voyant dans Paris-Match la photo des deux accidentés à la morgue de Garches, Julien Gracq les décrira comme « les gisants des anciens tombeaux ».

Lucien d’Azay fera paraître en 2005 À la recherche de Sunsiaré, chez qui Gracq reconnaît le « romantisme explosif » de Bettina Bretano, (1785-1859), future Bettina von Arnim, femme de lettres romantique allemande, aimée de Goethe avant son mariage avec le poète Achim von Arnim.

Bon état, voir photos.