Pierre-Joseph PROUDHON – Belle lettre amicale aux envolées politiques
Lettre autographe signée adressée à son ami Jouvenot – Paris, 83, rue d’Enfer, 19 novembre 1855 – 2 pp. ½ in-8.
« Le prêtre, le soldat, le Capitaliste : voici la triple puissance du jour, et l’objet de ma triple haine »
2 500€
1 en stock
1 en stock
Pierre-Joseph PROUDHON (1809 – 1865) – Économiste, philosophe et sociologue, précurseur de l’anarchisme.
Lettre autographe signée adressée à son ami Jouvenot – Paris, 83, rue d’Enfer, 19 novembre 1855 – 2 pp. ½ in-8.
Évocation de son passé ouvrier dans le contexte de la guerre de Crimée
« Je viens vous demander un petit service de camarade. C’est d’hier seulement que je sais par Denirier, qu’il existe dans la dernière édition du Dictionnaire de Théologie de Bergier, par Monsieur Chalandre, deux ou trois articles, soit notes, soit articles de texte, à mon intention particulière, et dans lesquels je ne suis pas trop bien traité. Auriez-vous l’obligeance de me dire quels sont ces articles, quelle en est la substance, qui les a écrits ?
S’il s’y trouve quelques lignes qui méritent que vous les citiez, faîtes-en l’extrait, et envoyez-les moi. Ou mieux encore, si ces articles n’étaient pas d’une longueur énorme, et ne demandaient, par exemple, qu’une journée ou deux de travail pour en faire la copie, chargez-en quelqu’un ; je vous ferai remettre aussitôt ce que vous aurez jugé à propos de donner gratification. Je possède une édition de Bergier, publiée par la maison Chalandre, et c’est ce qui m’empêche de me procurer la dernière. Mais mon exemplaire porte la date de 1843, et je n’y ai rien vu qui me concernât personnellement. Quelquefois, on trouve dans ce qu’on appelle imperfections d’une librairie, de quoi satisfaire un curieux qui ne cherche qu’un texte à recueillir. Si c’était le cas pour vous, vous pourriez mettre la feuille en question sous enveloppe, et me l’adresser.
Enfin, je me confie à votre obligeance pour ce renseignement, qui me sera utile, et que j’ai besoin de recevoir sous huit jours, au plus tard. Je pars du 25 au 30 c[ouran]t. pour la Belgique, où je vais faire éditer mon ouvrage qu’il n’y aurait pas pour moi sureté de publier à Paris, et dont au surplus personne ne veut se charger ; Répondez-moi d’ici là, tout empêchement. Comment êtes-vous avec Monsieur Chalandre ? En 1852, vous m’avez paru satisfait de votre position ; y trouvez-vous toujours les mêmes avantages ? Je ne vous charge pas de mes salutations pour votre patron, malgré la bienveillance qu’il m’a témoignée à plus d’une reprise : je craindrais qu’il ne prît cette liberté de ma part pour une familiarité indiscrète.
Mais à défaut du chef, parlez-moi de ceux que j’ai connus, Jouffroy, Jobar, etc.. J’ai appris la mort de ce bon Thouré, par son frère qui est venu à Paris faire une grande musicienne de sa fille, et qui dépense pour cela ses dernières ressources. Le pauvre homme !…
On dit que Plumey est la cheville ouvrière de la municipalité bisontine et qu’il gouverne la ville, comme le fils de Thémistocle gouvernait Athènes. Si vous le voyez, vous lui souhaiterez le bonjour de ma part. Je voudrais savoir ce qu’est devenu son fils : il a du aller en Crimée. Le fils de Plumey me fait penser au fils d’Huguenet, qui était je crois de la réserve. Est-il aussi parti, celui-là ? Quand donc est-ce que le Minautaure bonapartiste, avec ses blagues de gloire, de Liberté des nations, d’équilibre européen, sera saoul de chair humaine ?
Le prêtre, le soldat, le Capitaliste : voici la triple puissance du jour, et l’objet de ma triple haine.
Mais j’oublie que vous êtes correcteur d’une imprimerie ecclésiastique, et je ne voudrais pas vous compromettre. Mon cher Jouvenot, si vous pouvez vivre décemment dans votre position, demeurez-y, et gardez vous d’écrire. Je vous serre la main et vous prie de me croire toujours comme en 1832, 1834, et dans tous nos plus mauvais jours, votre fidèle et dévoué collègue. »
L’ouvrage, dont il est question ici et que Proudhon est sur le point de faire éditer, est probablement De la justice dans la Révolution et dans l’Église, qui est finalement édité en 1858, à Paris (librairie de Garnier frères). Son intuition relative au risque encouru était juste puisque la parution de l’ouvrage lui vaudra une condamnation à une peine d’emprisonnement de 3 ans, qui le conduira à s’exiler en Belgique (août 1858).
Dans une lettre du 25 décembre 1855 adressée au même, Proudhon fait suite à celle-ci : « […] Je vous avais annoncé mon départ pour la Belgique : je n’en ferai rien. J’espère. J’ai trouvé plus utile de mettre mon livre sur un pied tellement respectable que ni jésuite ni grippeminaud n’y puisse mettre la griffe. […]. »
Proudhon évoque d’anciennes amitiés, les compagnons de travail, qu’il partage avec son ami Jouvenot : Plumey, Huguenet, Joubar, Jouffroy, etc., rencontrés lorsqu’il était simple ouvrier à l’imprimerie Gauthier, puis à l’imprimerie Javel, à Besançon.
Traces d’usure, mouillure au second feuillet, sans atteinte au texte, voir photos.