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Prosper MÉRIMÉE – Deux lettres évoquant le sénatus-consulte de 1870

2 lettres autographes signées adressées à Félicien de Saulcy – Cannes, 5 mars et 8 mai 1870 – 6 pp. in-8 sur deux bifeuillets.

 

« Je m’attends tous les jours à ce qu’on nous demande un senatus consulte, portant art I : le sénat est supprimé. Si je suis à Paris lors de la présentation je proposerai un amendement, pour que nous recevions un habit noir et un pantalon idem en échange de nos uniformes dorés »

 

 

Vendu

Prosper MÉRIMÉE (1803 – 1870) – Écrivain et historien

2 lettres autographes signées adressées à Félicien de Saulcy – Cannes, 5 mars et 8 mai 1870 – 6 pp. in-8 sur deux bifeuillets.

Belle correspondance relative au dernier sénatus-consulte du Second Empire, quelques mois avant son décès

Le 20 avril 1870, sur proposition de Napoléon III, se tient un sénatus-consulte qui fixe la constitution du Second Empire en entérinant les évolutions libérales intervenues depuis 1852. Dès lors, il instaure un régime parlementaire qui considère le Sénat comme seconde chambre législative et rend notamment publiques les séances des deux chambres. La lettre datée du jour même de sa ratification par plébiscite, le 8 mai, passe cette question sous silence, les deux sénateurs préférant probablement évoquer ces questions de vive voix.

Ce cadre constitutionnel est de courte durée puisque la défaite contre la Prusse conduit à l’avènement de la Troisième République dès le mois de septembre.

Cannes 5 mars [1870] : «Votre lettre m’a fait beaucoup de peine. Je ne m’imaginais pas que ce voyage dut vous coûter tant d’inquiétudes et de douleurs. Hélas nous ne sommes plus à ce temps heureux où nous pouvions impunément rester dix heures à cheval, nous passer de dîner ou dîner deux fois, faire bien d’autres folies de nos corps que la pudeur m’empêche de rappeler. La mort n’est pas quelque chose de bien effrayant en comparaison de la somme de douleurs qu’on peut souffrir, et votre accouchement de 56 heures m’a fait froid dans le dos et m’a tenu éveillé pendant toute la nuit qui a suivi la lecture de votre lettre.
Je pense mon cher ami, qu’étant si délicat en matière d’accouchements, puisqu’accouchement il y a, vous ne devez pas faire le bédouin et passer des journées le cul sur la selle. Si vous vous contentez de votre fauteuil sénatorial et de votre chaise académique, vous n’aurez plus à craindre de pareils accidents. Contrexéville, j’espère, vous rendra des reins tout neufs. Il ne s’agit plus que de les ménager.
Je n’ai pas de maux comparables aux vôtres, mais je suis bien souffreteux pourtant, je me sens affaibli tous les jours et je suis-je le crains, obligé de demeurer encore longtemps ici. Le plus petit froid me met tout à bas, et je passe plusieurs jours dans l’état d’un poisson hors de l’eau. J’ai su par des amis de Nice que la colère de Mr Worms
[médecin niçois, ancien médecin de l’armée d’Afrique, qui lui avait été recommandé par Saulcy] contre moi, venait de ce que je ne lui avais pas fait de visite à Paris ; mais il me paraissait si embêté de la médecine et des malades, que je me suis fait scrupule d’aller le retenir chez lui. Il m’avait promis d’aller me voir à Cannes l’année dernière, et bien que j’aie été assez malade pour que les journaux se soient permis de faire mon oraison funèbre, il ne m’a pas donné signe de vie [Mérimée fut annoncé plusieurs fois pour mort par les journaux : en 1869 par Le Figaro, puis en février 1870 par Le Gaulois, péripétie qu’il évoque ici avec humour]. J’ai eu tort probablement, mais il me semble qu’il a eu plus tort que moi. Je puis d’ailleurs me passer de ses gélules et mon médecin m’en a donné qui les remplacent de tout point. Je suis seulement fâché qu’un homme d’esprit soit si susceptible. J’ai eu l’autre jour des nouvelles indirectes de [?] fort bonnes Je m’attends tous les jours à ce qu’on nous demande un senatus consulte, portant art I : le sénat est supprimé. Si je suis à Paris lors de la présentation je proposerai un amendement, pour que nous recevions un habit noir et un pantalon idem en échange de nos uniformes dorés. Si tout ce qui se passe en politique n’était pas si triste, ce serait bien drôle. Je ne crois pas qu’à aucune époque on ait autant menti ? qu’on le fait à présent, mais plus nous irons et plus le mal fera de progrès. Adieu mon cher ami, présentez mes hommages à madame de S. qui a dû avoir bien souffert et pour vous et pour sa fille. Dîtes-lui combien j’ai pris part à ses douleurs conjugales et maternelles et combien je suis heureux qu’elle en soit délivrée. […] »

Cannes 8 mai 1870 : « Je suis toujours très souffrant. Depuis trois jours seulement je sors de mon lit. Je n’ai pas encore pu fixer le jour de mon départ. En supposant que ma santé s’améliore un peu, il me serait difficile de partir avant la fin de la semaine, mais j’ai eu si souvent des rechutes, que je n’ose faire des projets. Le temps est admirable. Je n’ose vous parler de venir, car je suis trop mauvaise compagnie, je ne mange pas encore à table et je suis hors d’état de faire la moindre promenade. Souvent je me demande si je reviendrai jamais de ce pays-ci. Je suis charmé que votre fils soit à Athènes. Il y verra ce qu’il y a de plus beau en Grèce et n’a pas besoin de se brûler la peau pour voir quelques ruines très médiocres en ? et dans le Péloponnèse. S’il n’avait rien de mieux à faire, je lui conseillerais de revenir par Corinthe, Corfou et de s’arrêter à Pola en Istrie, pour voir le palais de Dioclétien. Il y a là probablement le lien entre l’art romain et celui du moyen Age. […] »

Soigné pour son asthme, Mérimée fait de fréquents déplacements à Cannes pour des cures. Cette année-là, après un séjour à Paris, il revient à Cannes le 11 septembre dans un grand état de fatigue. Il meurt le 23, entouré des sœurs Lagden et du Dr Maure, et est inhumé sur place, dans le cimetière protestant du Grand Jas.

Félicien de Saulcy (1807-1880) est considéré comme l’un des fondateurs de l’archéologie biblique. Il sera également conservateur de musée et sénateur à partir de 1859.

 

Bon état, voir photos.