Victor SEGALEN – Mobilisé sur le front, il annonce à son fils l’entrée en guerre de l’Italie
Lettre autographe signée Victor adressée à son fils Yvon – [Depuis le front, à Dixmude, près de Dunkerque], 21 mai [1915] – 4 pp. in-12, encre bleue sur papier brun.
« Mon cher petit Yvon, on a annoncé hier par téléphone aux marins dans les tranchées, que l’Italie partait en guerre. »
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Victor SEGALEN (1878 – 1919) – Médecin, romancier, poète et ethnographe
Lettre autographe signée Victor adressée à son fils Yvon – [Depuis le front, à Dixmude, près de Dunkerque], 21 mai [1915] – 4 pp. in-12, encre bleue sur papier brun.
Depuis le front, l’effet retentissant de l’annonce de l’entrée en guerre de l’Italie
« Mon cher petit Yvon, on a annoncé hier par téléphone aux marins dans les tranchées, que l’Italie partait en guerre. Alors un enseigne de vaisseau a pris comme porte-voix un tuyau de poêle et s’est avancé le plus loin possible vers les Allemands, et s’est mis à leur hurler : “tas de boches ! Sortez de vos trous : vous êtes foutus ! l’Italie marche avec nous ; Viva el Italia !” et autres mots du même genre. les Boches ont aussitôt répondu par des coups de fusils, mais ils devaient être furieux et on en trouvera sûrement beaucoup morts de rage rentrée. En même temps, tous les matelots s’étaient mis en train de tirer des salves bien régulières pour marquer la mesure de la Marseillaise, qu’ils hurlaient de toutes leurs forces. Si l’on avait voulu attaquer ce soir-là, il n’y avait qu’un mot à dire : tous les marins auraient sauté de joie sur les allemands. Ils faisaient tous un tel bruit avec leur Marseillaise et leurs fusils que l’artillerie a cru à une attaque et s’est mis à lancer du 75 tant qu’elle a pu. Les Boches ont du passer une bien mauvaise nuit, et leur réveil a du être encore plus piteux. Je pense donc que nous allons bientôt aller de l’avant. Ce sera fort amusant de sauter par-dessus les tranchées d’en face qui nous ont arrêtés si longtemps. Je t’en dirai la largeur exacte, et tu verras si tu pourrais les sauter à pieds joints.
Je suis très satisfait de ta nouvelle course de vitesse. Mais j’interdis les combats de boxe comme celui que tu me racontes avec le nommé Féret ; tu n’as jamais pris de leçons de boxe , ni française, ni anglaise, tu n’as jamais vu de bons boxeurs, tu ne peux appeler boxe un échange ridicule de coups de poings sans aucun entraînement, sans aucune méthode. Dis de ma part à celui qui te provoquera que boxer ainsi est encore un jeu de pur voyou. Dès que je serai revenu, je te ferai commencer la véritable boxe qui te permettra, non seulement de ne pas recevoir de coups mal placés, mais d’envoyer promener ton adversaire de façon à ce qu’il n’y revienne plus. Tu commenceras aussi bientôt l’escrime. D’ici là, défense de donner un coup de poing, et surtout d’en recevoir.
Je t’embrasse, mon cher petit. »
Après avoir déclaré sa neutralité dans le conflit, le 3 août 1914, l’Italie déclare rompre avec la Triple-Alliance (le 3 mai 1915) et s’engager aux côtés de la Triple-entente (France, Russie, Royaume-Uni), le 23 mai, après avoir négocié le pacte de Londres, qui lui accordait des concessions territoriales en cas de victoire.
C’est sur sa demande que Victor Segalen est mobilisé comme médecin de la brigade de fusiliers marins à Dixmude, près de Dunkerque. Il retournera à l’arrière en juillet 1915 en raison d’une gastrite aiguë. Après un passage à l’Hôtel-Dieu de Rouen pendant sa convalescence, il est affecté à l’hôpital militaire de Brest, avec les fonctions de directeur-adjoint, qui lui laissent le temps d’écrire Peintures, qui sera publié en juin 1916.
Petite décoloration en marge, voir photos.